Germaine Laoust-Chantréaux (1912-2006)
"Ces notes, trop sèches et impersonnelles, ne peuvent donc traduire que très imparfaitement la vie d'un village kabyle qui m'avait adoptée et où je pouvais dire alors, comme tout un chacun, avec ce sentiment de l'honneur si vivace qu'ont tous les Kabyles : Nous, les Aït Hichem..."
G. Laoust-Chantréaux,
Kabylie côté femmes. La vie féminine à Aït Hichem (1937-1939), Edisud, 1990, p. 20.
Les données biographiques concernant Germaine Laoust-Chantréaux sont rares et souvent citées en marge de notes consacrées à son époux Henri Laoust - islamologue - et au père de ce dernier Emile Laoust - ethnographe et dialectologue. Elle figure dans le
Dictionnaire des orientalistes de langue française à l'ombre de son époux sans qu'une notice lui soit consacrée.
« Germaine Laoust-Chantréaux a publié, écrit Claude Lefébure, des recherches précises sur les activités féminines dans certains groupes berbérophones d’Algérie (Aït Hichem) et du Maroc (Aït Mguild). Petite-fille de Jean-Eugène Scheer (1855-1893), qui aux côtés de Masqueray ouvrit en Kabylie les écoles indigènes voulues par Jules Ferry, elle-même institutrice « dans le bled », elle est rattachée par son concours, à cette phalange de maîtres d’école devenus des dialectologues (Boulifa, Destaing, Loubignac) qu’inaugura Emile Laoust. »[1]
G. Laoust-Chantréaux fait partie du paysage de la fabrique des savoirs en colonies selon la division académique du travail de l'époque départageant ethnologues et ethnographes. Ces derniers, suivant en cela le
Manuel d'ethnographie de Marcel Mauss, labouraient le terrain et constituaient la matière ethnographique et monographique riche d'indices, de données, de témoignages, de croquis, de dessins et de photographies et de descriptions
minutieuses et détaillées.
Comme l'écrit Jean-Pierre Digard « Il y a les livres dont on parle — cela dure une saison ou deux — et il y a ceux que l'on utilise, qui naissent bien souvent en silence mais qui restent, parfois durant de nombreuses décennies, les ouvrages de référence obligés des spécialistes d'un domaine de recherche. Celui de Germaine Laoust-Chantréaux, qui paraît cinquante ans après avoir été conçu, appartient incontestablement à cette dernière catégorie. C'est en vain qu'on y chercherait la moindre référence aux débats actuels de l'anthropologie. On y trouve, en revanche, des descriptions d'une densité et d'une précision auxquelles nous ne sommes plus habitués, en ces temps où les concessions à la mode et à la productivité tirent de plus en plus l'écriture et l'information ethnologiques vers le journalisme. »[2]
Une matérialité du terrain ethnographique qui sera plus tard, comme ici, léguée au bibliothécaire en acte de don pour la postérité. La bibliographie est mince mais le fonds est riche de documents, de fiches bristol nourries de l'analyse des données recueillies, de la taxonomie en cours d'élaboration, de l'inventivité du classement, de la base de connaissance produite : lexique, définitions des termes vernaculaires, chaînes opératoires... Autant d'éléments qui favorisent le dialogue et la relance du terrain en permettant de le revisiter, de le réarticuler aux questions du présent et de le confronter au savoir accumulé.
C'est aussi un savoir non désincarné mais qui témoigne d'une proximité avec les villageois, surtout les villageoises, qu'elle a côtoyés comme institutrice en 1937, à l'école de filles d'Aït Hichem, près de Fort-National, en Kabylie. Une trame de relations qu'elle tient à entretenir dans les langues arabes et berbères. Elle en portera le nom, Lalla Tama'zuzt (« Dame Aimée »), qu'on lui a donné en signe d'adoption.

Encore une fois peu d'information sur son séjour marocain si ce n'est la mention par Camille Lacoste-Dujardin[3] de l'aide que lui apporta André Basset, son professeur en berbère à la Faculté des lettres d'Alger, pour bénéficier de quelques missions à l'Institut des hautes études marocaines (Rabat) avant qu'elle n'y obtint un poste.
Durant ce séjour, elle se consacre, entre autres, à l'étude du tissage sur métier dans une démarche comparative : le terrain kabyle d'Aït Hichem et le marocain des Beni Mguild. Il en résulte des articles publiés dans Hespéris.
Le fonds Germaine Laoust, déposé à la Médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme, témoigne de la richesse des données et des sources issues de ces terrains ethnographiques ainsi que des méthodes d'analyse et de construction des savoirs qu'elle mobilise ou invente pour ses études.
Abdelmajid Arrif
Notes
[1] Claude Lefébure, Laoust Emile Henri (Fresne-sur-Escaut, 1876 – Rabat, 1952), François Pouillon (éd.), Dictionnaire des orientalistes de langue française, IISMM-Karthala, Paris, 2008, 1007 p.
[2] Jean-Pierre Digard. G. Laoust-Chantréaux, Kabylie côté femmes. La vie féminine à AÏt Hichem, 1937-1939, L'Homme, 1994, vol. 34, n° 129, pp. 204-206.
url :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1994_num_34_129_369707 (Consulté le 16 avril 2012).
[3] Camille Lacoste-Dujardin, Présentation, G. Laoust-Chantréaux, Kabylie côté femmes. La vie féminine à Aït Hichem (1937-1939), Edisud, 1990.